Le statut de grand-père nous amène à renouer avec les récits qui enchantaient notre jeunesse, avec ces contes de fées qui nous ont bercés et que nous lisons le soir à notre tour à nos petits-enfants, avec le sentiment de transmettre des valeurs essentielles.
En y réfléchissant, de justes questions s’imposent quant aux messages véhiculés par ces textes d’hier, et l’envie m’a pris de les revisiter en leur apportant une touche de modernité.
Il était une fois une jeune fille albinos qui avait les yeux rouges et la peau blanche. Rouquine jusqu’à l’os, elle arborait une chevelure de feu à faire pâlir le soleil. Malgré son air de grenouille morte, elle était tout de même sympathique. On l’appelait Blanche-Neige. Comme dans tous les contes de fées, Blanche-Neige était une princesse dotée d’une belle-mère vaniteuse et malveillante. A ce sujet, cessez de vous interroger sur tout ce tapage autour des belles-mères ! Les contes de fées sont responsables de ce lavage de cerveau qui a amené l’humanité à croire que les belles-mères sont méchantes. Ce n’est qu’une vue de l’esprit. La mienne, par exemple… n’est pas pire que les autres… Mais il faut bien avouer que celle de Blanche-Neige était un sacré numéro ! Et qu’elle fût Reine ne changeait rien à l’affaire…
La Reine admirait chaque jour son reflet au miroir, éprise d’elle-même, en pamoison devant la forme de ses sourcils et le teint de ses joues. De lourds antécédents familiaux de désordres mentaux entachaient son raisonnement, on la surprenait même parfois à discuter avec son miroir. Bref, un cas désespéré…
Pendant ce temps, Blanche-Neige gambadait dans le jardin, essayant tant bien que mal de profiter du soleil et de prendre un meilleur teint. Mais, albinos jusqu’à la moelle, elle ne retirait de ces sorties que des boutons étranges qui lui donnaient l’air d’une amanite tue-mouche.
Un jour, la Reine fut frappée d’une implosion de l’inconscient qui lui donna un sentiment de rejet intense et universel. Elle crut même entendre son miroir se foutre de sa tronche en lui affirmant que sa belle-fille « tue-mouche » était beaucoup plus jolie qu’elle. Aussitôt la Reine courut jusqu’au jardin et annonça solennellement à Blanche-Neige qu’elle était virée, transformant notre amanite tue-mouche en amanite vireuse (si ces histoires d’amanites vous plongent dans la confusion, faites vos recherches dans Google Image et cessez de geindre !).
En larmes, Blanche-Neige fit sa valise, y plaçant délicatement deux robes, quatre « petits hauts qui vont avec tout », trois souliers, un casse-croûte et un tube de crème auto-bronzante. Puis elle tailla la route.
Comment appeler cela : le hasard, le sort, le destin ? Qu’importe le terme ! Toujours est-il qu’une force surnaturelle se mit à orchestrer les événements afin que Blanche-Neige ne termine pas sa vie dans des quartiers malfamés. A peine eut-elle quitté sa belle-mère qu’elle rencontra un médecin spécialisé en texture de pommes rouges. Ne riez pas ! Il faut se spécialiser de nos jours… Le bon docteur, constatant que Blanche-Neige était en voie de clochardisation, lui offrit un emploi de secrétaire dans son cabinet de médecine méta-fabuleuse. Ce cabinet réunissait sept spécialistes, affectueusement appelés les sept nains. Pourquoi les sept nains, me demanderez-vous ? Parce que Blanche-Neige et les sept spécialistes en médecine méta-fabuleuse eut été un titre décidément trop ennuyeux pour les enfants. On opta donc pour les sept nains, bien que les sept gaillards mesurassent plus d’1m80. Mais en les plaçant à côté de girafes, ils paraissaient minuscules. Donc, tout baigne…
Blanche-Neige prit immédiatement ses fonctions dans son nouveau boulot. Elle fit tranquillement la connaissance des sept médecins, que voici : Prof, déjà cité, spécialiste en texture de pommes rouges, Grincheux, spécialiste en aérodynamisme du cuir chevelu, Atchoum, spécialiste en contusions de l’index et du majeur, en voie d’obtenir une certification en contusion du gros orteil gauche, et Dormeur, spécialiste en réveils d’après hibernation et conseiller en matelas.
Blanche-Neige s’épanouissait un peu plus chaque jour dans son métier de secrétaire médicale. Il faut dire que son physique l’avantageait : à la vue de sa pâleur les fébriles se réjouissaient de leur teint rubicond et à celle de sa chevelure les
enfants atteints de rougeole se sentaient rassurés. Certes, elle prenait moins de bains de soleil, mais, au moins, elle avait maintenant un salaire et pouvait tester une plus grande variété de crèmes auto-bronzantes. Prof tentait d’ailleurs de dissuader Blanche-Neige de les utiliser : « Si une de ces crèmes arrive à te faire bronzer, tu seras désormais appelée Brune-Neige, ce qui sera très mauvais pour ta carrière ! » Mais Blanche-Neige, malgré sa candeur, avait aussi une tête de cochon incomparable et ne changea en rien ses habitudes.
Croyez-vous que je ne comprenne pas ce qui se passe en vous, à cet instant du récit ? Oui, oui, je m’adresse à vous, chers lecteurs. Vous vous dites : « Eh bien… il devait présenter sept médecins et il n’en a présenté que quatre ! » Outre le fait que ce détail est d’une insignifiance titanesque, il fait également partie de la vie intime de ce cabinet. Que simplet soit un éminent proctologue, Timide un gynécologue de renom et que la spécialité de Joyeux ne puisse être évoquée ici sans risquer les foudres de la censure, n’ajoute rien à notre histoire. Alors pourquoi perdre toute votre concentration et vous mettre dans tous vos états pour si peu ? Ressaisissez-vous et poursuivons !
Un jour, une cliente entra dans le cabinet médical et discuta longuement avec Blanche- Neige. Parmi les sujets abordés : la pluie, le beau temps, la mode et le mascara. Tout le contenu d’un magazine Femme Actuelle en moins de quinze minutes ! Une aubaine… Après avoir tourné et retourné ces profonds sujets en tous sens, la cliente sembla prise d’un sentiment d’attachement irrépressible envers Blanche-Neige et lui offrit une pomme. Blanche-Neige y croqua… et tomba immédiatement dans un profond coma. C’était une pomme empoisonnée, évidemment. Cette cliente était en fait la Reine, déguisée pour mieux tromper son monde et bien décidée à ce que les jours de Blanche-Neige cessent de couler paisiblement en compagnie des sept nains.
À 824 kilomètres de là (soit 185 lieues et quelques toises, pour les puristes), sept souris s’ennuyaient à mourir car leur maîtresse, qui s’appelait Cendrillon, était en cavale depuis une éternité avec son prince charmant. Pour passer le temps et être utiles à la société, elles ouvrirent une agence de rencontre. A nouveau, le hasard – ou le sort, ou le destin – fit son œuvre et les sept nains tombèrent sur une publicité provenant de cette nouvelle agence prometteuse. Ils se concertèrent et décidèrent de placer une annonce dans le journal pour caser leur secrétaire comateuse : « Jeune femme plutôt paisible cherche prince ».
Le premier appel fut le bon. Un prince vivant tout près désirait rencontrer Blanche-Neige dans les plus brefs délais. Les sept nains injectèrent donc 7 millilitres de résine de sabot de gnou dans les veines de Blanche-Neige afin de l’extirper temporairement de son coma pour qu’elle puisse embrasser son prince et ainsi revenir à une vie normale. Et, surtout, s’occuper des dossiers qui s’accumulaient au cabinet des médecins ! Bien que le remède temporaire fonctionnât, il laissa Blanche-Neige dans un état de confusion plutôt inquiétant. Mais qu’importe ! Ce n’était que pour un laps de temps très court.
Le prince fixa le rendez-vous dans un château qui faisait chambres d’hôtes, dans la suite 224. Blanche-Neige s’y rendit. Ou plus exactement, elle crut s’y rendre. Car en fait, la confusion la poussa à se rendre chez sa belle-mère !
Elle perdit un temps fou à compter les chambres qui n’était pas numérotées au château de la Reine, d’autant qu’elle raclait fort du gosier en raison du petit morceau de pomme empoisonnée qui y était resté coincé. Elle pénétra enfin dans la 224ème. La pièce était plus sombre que le trou du cul d’un nègre (Je me dois ici d’ouvrir une nouvelle parenthèse. Ne voyez rien de péjoratif dans cette annotation ! Il ne s’agit que d’une image pour mieux vous faire comprendre la noirceur du lieu. L’un de mes amis à la peau noir ébène ne s’en est d’ailleurs pas offusqué. Il m’a simplement déclaré, avec un air étonné : « Je ne savais pas, présentement, que dans le cul des blancs il y eût de la lumière ! » Fermons la parenthèse !). Elle entendit une profonde respiration provenant du lit. Elle s’approcha à pas feutrés et se pencha pour embrasser son prince. Vous vous doutez de la suite. Son prince était en fait la Reine, qui dormait d’un sommeil d’ours brun en plein cœur de l’hiver. Elle embrassa donc la Reine, qui se redressa brusquement sur son séant en s’époumonant : « Quoi ? Quoi ? De quoi s’agit-il ? ». Ce faisant, elle ingéra le morceau de pomme empoisonnée qui était passé de la bouche de Blanche-Neige à la sienne et sombra immédiatement et à son tour dans le coma.
Revenant définitivement à la vie et à la raison, Blanche-Neige proféra : « On est toujours puni par où on a péché ! ».
Quoi ? Vous vous attendiez à une réplique plus glorieuse ? Je vous rappelle gentiment que Blanche-Neige était confuse. Injectez-vous 7 millilitres de résine de sabot de gnou et cela vous guérira de cette fâcheuse tendance à juger trop hâtivement les personnages de contes de fées !
La reine finit ses jours sous perfusion dans divers hôpitaux où elle mourut dans d’atroces souffrances, le Prince passa le reste de son existence à sillonner le pays pour y visiter tous les châteaux à la recherche d’une hypothétique chambre 224 (qu’il finit par trouver dans un asile d’aliénés) et les sept nains se préparèrent des jours sombres en épousant les sept souris.
Quant à Blanche-Neige, elle reprit son boulot avec tant ardeur qu’elle devint la directrice du cabinet médical et s’employa à faire trimer les sept médecins comme jamais. Elle se teignit les cheveux en blond et poursuivit inutilement ses efforts pour donner à son teint quelques couleurs, faisant la fortune des fabricants de crèmes auto-bronzantes.
C’est ainsi qu’elle mena une vie riche et intéressante en restant célibataire, ce qui lui évita d’avoir une tripotée d’enfants, estimant qu’elle avait mieux à faire dans la vie…
Jean-Marie Dumarquez