Le texte qui suit, transmis par notre ami Christian LEIGNEL, est une invite à la réflexion génératrice d’un doute salutaire…
Les dix stratégies de manipulation de masse – Noam Chomsky
Le linguiste américain Noam Chomsky a élaboré une liste de dix stratégies de manipulation à travers les médias issues de ses observations. Nous la reproduisons ici.
Les passages en italique sont extraits de Armes silencieuses pour guerres tranquilles.
1/ La stratégie de la distraction
Élément primordial du contrôle social, la stratégie de la diversion consiste à détourner l’attention du public des problèmes importants et des mutations décidées par les élites politiques et économiques, grâce à un déluge continuel de distractions et d’informations insignifiantes. La stratégie de la diversion est également indispensable pour empêcher le public de s’intéresser aux connaissances essentielles, dans les domaines de la science, de l’économie, de la psychologie, de la neurobiologie, et de la cybernétique. Garder l’attention du public distraite, loin des véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance réelle. Garder le public occupé, occupé, occupé, sans aucun temps pour penser ; de retour à la ferme avec les autres animaux.
2/ Créer des problèmes, puis offrir des solutions
Cette méthode est aussi appelée « problème-réaction-solution ». On crée d’abord un problème, une « situation » prévue pour susciter une certaine réaction du public, afin que celui-ci soit lui-même demandeur des mesures qu’on souhaite lui faire accepter. Par exemple : laisser se développer la violence urbaine, ou organiser des attentats sanglants, afin que le public soit demandeur de lois sécuritaires au détriment de la liberté. Ou encore : créer une crise économique pour faire accepter comme un mal nécessaire le recul des droits sociaux et le démantèlement des services publics.
3/ La stratégie de la dégradation
Pour faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l’appliquer progressivement, en « dégradé », sur une durée de dix ans. C’est de cette façon que des conditions socio-économiques radicalement nouvelles (néolibéralisme) ont été imposées durant les années 1980 à 1990. Chômage massif, précarité, flexibilité, délocalisations, salaires n’assurant plus un revenu décent, autant de changements qui auraient provoqué une révolution s’ils avaient été appliqués brutalement.
4/ La stratégie du différé
Une autre façon de faire accepter une décision impopulaire est de la présenter comme « douloureuse mais nécessaire », en obtenant l’accord du public dans le présent pour une application dans le futur. Il est toujours plus facile d’accepter un sacrifice futur qu’un sacrifice immédiat. D’abord parce que l’effort n’est pas à fournir tout de suite. Ensuite parce que le public a toujours tendance à espérer naïvement que « tout ira mieux demain » et que le sacrifice demandé pourra être évité. Enfin, cela laisse du temps au public pour s’habituer à l’idée du changement et l’accepter avec résignation lorsque le moment sera venu.
5/ S’adresser au public comme à des enfants en bas-âge
La plupart des publicités destinées au grand-public utilisent un discours, des arguments, des personnages, et un ton particulièrement infantilisants, souvent proche du débilitant, comme si le spectateur était un enfant en bas-âge ou un handicapé mental. Plus on cherchera à tromper le spectateur, plus
on adoptera un ton infantilisant. Pourquoi ? Si on s’adresse à une personne comme si elle était âgée de 12 ans, alors, en raison de la suggestibilité, elle aura, avec une certaine probabilité, une réponse ou une réaction aussi dénuée de sens critique que celles d’une personne de 12 ans.
6/ Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion
Faire appel à l’émotionnel est une technique classique pour court-circuiter l’analyse rationnelle, et donc le sens critique des individus. De plus, l’utilisation du registre émotionnel permet d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient pour y implanter des idées, des désirs, des peurs, des pulsions, ou des comportements…
7/ Maintenir le public dans l’ignorance et la bêtise
Faire en sorte que le public soit incapable de comprendre les technologies et les méthodes utilisées pour son contrôle et son esclavage. La qualité de l’éducation donnée aux classes inférieures doit être la plus pauvre, de telle sorte que le fossé de l’ignorance qui isole les classes inférieures des classes supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes inférieures.
8/ Encourager le public à se complaire dans la médiocrité
Encourager le public à trouver « cool » le fait d’être bête, vulgaire, et inculte…
9/ Remplacer la révolte par la culpabilité
Faire croire à l’individu qu’il est seul responsable de son malheur, à cause de l’insuffisance de son intelligence, de ses capacités, ou de ses efforts. Ainsi, au lieu de se révolter contre le système économique, l’individu s’auto-dévalue et culpabilise, ce qui engendre un état dépressif dont l’un des effets est l’inhibition de l’action. Et sans action, pas de révolution !…
10/ Connaître les individus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes
Au cours des 50 dernières années, les progrès fulgurants de la science ont creusé un fossé croissant entre les connaissances du public et celles détenues et utilisées par les élites dirigeantes. Grâce à la biologie, la neurobiologie, et la psychologie appliquée, le « système » est parvenu à une connaissance avancée de l’être humain, à la fois physiquement et psychologiquement. Le système en est arrivé à mieux connaître l’individu moyen que celui-ci ne se connaît lui-même. Cela signifie que dans la majorité des cas, le système détient un plus grand contrôle et un plus grand pouvoir sur les individus que les individus eux-mêmes.
Noam CHOMSKY
Le texte qui suit est une pure fiction. Il semble toutefois illustrer parfaitement les conséquences possibles de certaines manipulations évoquées par Noam Chomsky.
Ecrit il y a neuf ans, il reste d’une brûlante actualité…
Ni la radio, ni la télé n’en avaient parlé. Aucune ligne à ce sujet dans les journaux ! Même la rue était restée muette. Seuls quelques-uns uns ne s’étonnèrent pas. On y était…
En ce petit matin frisquet du printemps 2015, des camions militaires avaient envahi la ville. Des soldats en uniformes noirs et aux souliers ferrés avaient investi certaines demeures particulières et en faisaient sortir les occupants sans ménagement. La stupeur se lisait sur les visages mal réveillés des habitants rudoyés au saut du lit. Des cris fusaient, des larmes, promptement étouffés à coups de crosses revanchards. Toute la cité avait tremblé dans le matin blême.
Aux premiers coups de feu, tout s’était calmé, d’un seul coup. La longue cohorte avançait maintenant sans bruit dans les rues grises, encadrée par les escadrons noirs. Hommes, femmes, enfants, marchaient tête basse, en traînant les pieds, regards vides fixés au sol. Tous arboraient, cousu sur leur vêtement, le signe d’infamie : un beffroi noir sur un cœur jaune stylisé, un emblème dont beaucoup avaient été fiers, autrefois. Mais le temps, aujourd’hui, n’était plus à l’amitié…
L’étrange cortège s’était dirigé vers le camp de transit, aménagé à la hâte dans la nuit, en dehors de la ville. Procession silencieuse où couraient des mots oubliés, vocables des temps anciens qui ressurgissaient ! Les plus jeunes haussaient un sourcil interrogateur. « Vél’ d’Hiv’ ? » Une nouvelle marque de chaussures de sport ? Un nouveau processeur ? Une console de jeu révolutionnaire ? Le nom d’un groupe à la mode ?
Derrière les barbelés, hommes, femmes et enfants avaient été séparés. Un vieil Artésien à la longue barbe blanche avait murmuré à mi-voix : « Nous sommes les futurs détails de l’histoire… » Des regards d’incompréhension s’étaient posés sur lui. Affront au devoir de mémoire, les théories négationnistes, au fil des années, s’étaient imposées. Le vieil homme n’avait pas eu le temps d’expliquer. Les crosses des soldats s’étaient abattues sur lui, sans un mot, sans un cri, méthodiquement, sous le regard horrifié et incrédule de ses pairs.
Comment avait-on pu en arriver là ?
Tout avait commencé au début de ce siècle qu’on disait porteur d’espoirs, de façon presque banale. Cela faisait moins d’un an qu’on comptait en euros. Les progrès fulgurants de la science, dans tous les domaines, laissaient entrevoir des lendemains qui chantent et tout un chacun s’enorgueillissait d’appartenir à la grande communauté humaine capable désormais de se regrouper pour le bien de tous et de communiquer sans difficultés par-delà les frontières. L’Europe était en marche et, malgré quelques hiatus, s’annonçait sous d’heureux auspices. Si la paix dans le monde n’était encore en bien des endroits qu’un vain mot, l’homme de la rue voulait espérer en un avenir radieux. Jusqu’à ce mois de mai 2002 qui vit basculer l’Histoire !
Nul ne s’était véritablement inquiété de la montée de l’extrême droite. Ce n’était que des mots qui, a priori, ne représentaient pas un réel danger. On était bien davantage préoccupé par les prochaines vacances, nécessairement dans quelque paradis idyllique, par le dernier modèle de chez Renault, qu’il faudrait bien un jour se payer, par le superbe cinq pièces dans cette résidence hyper protégée, où il ferait si bon vivre, et par la montée de la violence, reprise en écho de façon outrancière par tous les médias. Ce dernier point avait été, paradoxalement, le catalyseur de ce renversement de l’Histoire. L’homme de la rue avait peur, sans savoir au juste de quoi. Que les statistiques démontrent que la délinquance était partout en régression, que les crimes de sang soient de moins en moins nombreux, cela ne le rassurait pas : il cherchait désespérément ce qu’il avait à craindre, prêt à entendre les discours démagogues susceptibles de mettre un visage sur ses fantasmes. Car on brûlait, de-ci, de-là, un véhicule – qui devenait dès lors son véhicule –, les murs de la ville s’agrémentaient de graffitis hideux, des jeunes en mal d’aventure s’appropriaient ses petites affaires… C’était inadmissible ! Et il entendait bien le faire savoir… En se rendant aux urnes, son vote serait protestataire. Car certains discours électoraux étaient de nature à le séduire. Tolérance zéro et dehors les étrangers ! Voilà qui était rassembleur. La peur prenait figure humaine. On allait pouvoir la vilipender, la stigmatiser, l’éradiquer. Le remède était là et on ne le savait pas.
On s’en doutait bien un peu, depuis quelques temps, avec la montée progressive de tous les racismes. La populace, savamment désinformée, abêtie par des médias inconscients à la botte des grandes multinationales, réduite au statut de consommateur silencieux, y avait été, à son insu, bien préparée. Incapable d’admettre qu’elle avait peur, en fait, de sa jeunesse, incapable de comprendre qu’il valait mieux éduquer que réprimer, elle avait depuis longtemps transposé l’objet de ses craintes. Si le mal ne pouvait venir de ses propres enfants, c’est qu’il venait d’ailleurs, d’une jeunesse différenciée, facilement identifiable, de préférence légèrement… bronzée. C’était plus facile. Et si quelques-uns avaient rappelé les théories eugénistes destinées, autrefois, à identifier à coup sûr le Juif, leur discours s’était perdu dans la flambée xénophobe qui avait embrasé le pays. Les étrangers, les gens de couleur avaient entamé leur chemin de croix. Jusque-là, on se contentait de les appeler « ces gens-là ! » Mais, désormais, l’ennemi était identifié. Les Arabes, en particulier, avaient fait les premiers les frais de cette politique sans pitié. Assez de leurs ramadans ! Assez de leurs foulards et de leurs burnous ! Assez de leurs exigences et de leurs salamalecs ! Dehors ! La France aux français et les vaches seraient bien gardées…
Le premier devoir des nouveaux dictateurs avait été de tenir leurs promesses. Les camps de transit avaient fleuri, accueillant une population toujours plus nombreuse. Les droits les plus élémentaires de l’homme y étaient bafoués. La promiscuité et les mauvais traitements faisaient qu’on y mourrait volontiers, ce qui allégeait opportunément la charge des contribuables français. Des charters entiers avaient raccompagné les plus chanceux dans leurs pays. Car pour les autres – de nombreux arabes des troisième et quatrième générations, juridiquement et culturellement français –, l’aventure en France, terre d’accueil, s’était plutôt mal terminée. Ce furent d’abord les ratonnades, puis, ouvertement, la chasse meurtrière aux « nuisibles », systématique, organisée, contrôlée. On y emmenait les enfants – sinistre divertissement – pour leur apprendre à devenir de bons français. Puis il y eut la seconde « nuit des longs couteaux », remake d’une Saint Barthélemy de sinistre mémoire. On se demande parfois à quoi sert l’Histoire…
Une décennie s’était ainsi écoulée, avec la bonne conscience du devoir accompli. Une population B.C.B.T. (bon chic, bon teint) s’épanouissait dans une France propre à la sérénité retrouvée. L’insécurité n’était plus qu’un mauvais souvenir, sans doute pour la simple et bonne raison que les médias avaient l’interdiction formelle d’en parler. L’ignorance permet de tout accepter… À la télévision fleurissaient les émissions voyeuristes répugnantes qui flattaient les instincts les plus bas. On en regrettait presque les « Plein les yeux », « ça peut vous arriver », « On aura tout vu », « Confessions intimes », et autres « C’est mon choix » ou « Strip-tease »… Même « Loft story », après plusieurs saisons, avait fini par lasser et était perçue comme une vulgaire pantalonnade pour collégiens attardés. On se passionnait, désormais, pour « Milices de l’extrême », « Croisades d’aujourd’hui », « Baisers de Judas » ou « Délateur et bon français »… On dénonçait en direct son père, son frère, son voisin, pour ses idées subversives ou sa pensée politiquement incorrecte, et tout un chacun pouvait en suivre sur son écran les conséquences : embastillement des malheureux épinglés, application de la question par des bourreaux volontaires et patentés, et, les grands soirs télévisuels, châtiment suprême soumis au vote des téléspectateurs (la peine de mort avait été rétablie aux premières heures du nouveau régime)… Rien que de très banal sous une dictature ! à ce détail près que l’excellence de la mise en scène et la dramatisation des effets scotchaient littéralement tout le pays devant le petit écran, zappant de chaîne en chaîne pour ne rien perdre de l’horreur cathodique et des invites à consommer des encarts publicitaires.
Pourtant la France s’ennuyait. La « terre d’asile » de nos ancêtres, le pays des « Lumières » se morfondait. Les trois couleurs ne constituaient plus un symbole suffisamment rassembleur. Certains régionalismes avaient émergé. La Corse avait été la première à devenir indépendante, vite suivie par le Pays Basque, et la Bretagne. Le clivage Nord-Sud n’était plus seulement une vue de l’esprit. Les langues d’Oc et d’Oïl refleurissaient. La France donneuse de leçon, la France exemple pour le monde, complètement isolée, retrouvait ses errements d’antan : découpage incertain de ses frontières, luttes moyenâgeuses intestines et fratricides… Le pouvoir en place fermait les yeux dans la mesure où ces mouvements ne nuisaient pas au commerce : l’argent rentrait, c’est tout ce qui comptait.
Insidieusement, en terre d’Oc, les Gars du Nord avaient été relégués aux tâches subalternes, puis écartés de la communauté. Les signes visibles d’une appartenance ethnique, cette fois, n’existaient plus. Il avait fallu en inventer, ou stigmatiser des détails sans importance : une façon de parler, une origine douteuse ou une lignée trop explicite, une gastronomie singulière, un attachement trop marqué aux « Terres d’en haut »… En 2012, les premières extraditions avaient eu lieu. De jeunes « nordistes », nés dans le Sud, étaient ainsi expédiés vers des contrées qui leur restaient étrangères…. Les Gars du Nord étaient devenus « Ces gens-là »…
…Jusqu’à cette aube grise du printemps 2015 où les souliers ferrés martelaient le pavé, résonnant comme un glas dans les esprits ensommeillés.
Faudra-t-il, pour s’en sortir, une nouvelle fois faire appel aux alliés ? Faudra-t-il redemander à des jeunes venus d’ailleurs de se faire tuer loin de chez eux pour réparer les conséquences de nos erreurs ? Peut-être enrôler de force les enfants des enfants des anciens tirailleurs sénégalais et des harkis, ou supplier l’Amérique d’intervenir ? Cette Amérique, à qui nous croyons tant devoir et qui tant, depuis, nous le fait payer…
Qu’importent, sans doute, les solutions ! Gardons toutefois à l’esprit qu’elles ne sont jamais anodines et que, toujours, mieux vaut prévenir que guérir !
Les Gars du Nord sont des malins. Ils ne se contentent pas de « monter les côtes sans pédaler. » Ils ont de la jugeote et se défient du chant des sirènes. Ils savent bien que le racisme est affaire de pleutres, d’égocentristes sans conscience qui se promènent dans la vie la trouille au ventre et qui ne se sentent forts qu’en nombre, dans un consensus lâchement accepté.
Et s’ils ne le savent pas encore, qu’ils s’en convainquent vite ! Avant qu’il ne soit trop tard… L’enjeu est trop important.
Car le temps, chez nous, est toujours à l’amitié…
Un mauvais rêve, me direz-vous ?
Assurément ! Un mauvais rêve qui gâcha quelques-unes de mes nuits entre les deux tours des élections présidentielles.
Loin de moi l’idée de m’ériger en donneur de leçon. Juste l’envie de dire que l’insécurité, « la vraie », réside peut-être dans cet avenir incertain que nous nous préparons… Et que nos enfants jugeront !
Juin 2002
Jean-Marie DUMARQUEZ